vendredi 18 mars 2011

"TU N'ES PAS TOUT A FAIT MORT."(*)

Un peu plus d'une semaine et la stupeur catastrophique s'évanouit doucement. Les réacteurs et les piscines de stockage crachent comme jamais...et déjà dans les medias mainstreaml'alarme s'est tue
kālo'smi lokakṣayakṛt pravṛddho 
Je suis le Temps, qui en progressant, détruit le monde.

(in Bhagavad Gita )
Que les cerveaux du grand trust™ dénigrent encore les écologistes sincères -ceux qui ne font rien d'autre que de mettre en évidence l'inéluctable unité de l'écosystème "Terre", l' inter-dépendance de toute vie ... avec la vie.-
Qu'ils les traitent encore d'oiseaux conspirationistes... de prophètes de malheur. Pour le malheur -le notre, le leur- , pour le pire, le Réel tonne aujourd'hui "Raison". Et ce sont ces grandes têtes molles, là encore, avec leur divine technologie, leur ornithomancie angéliste et télévisée qui, une semaine après ce glas nucléaire, dispersent le sempiternel écran de fumée, brouillent les pistes, les mesures, et les esprits. Ils tablent sur une donnée simple :
la radioactivité ne se touche pas, ne se voit, ne s'entend, ne se sent, ni ne se goûte. Et aucune "tracabilité" dans ce poison. Nous finirons bien par nous accommoder de nos tumeurs : elles ne seront jamais que "potentielles". Silencieuses, aussi.

Sur les éclats de notre ADN brisé nous y repenserons alors: le silence vint au bout d'une semaine.

nota:
la puissance nocive, la "vie" radioactive de l'Uranium 235 est de 770 millions d'années.
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(*) in Marguerite Duras - "Hiroshima mon amour."

jeudi 17 mars 2011

LE TEMPS DES NOYAUX.




* via Google Earth™ Fukushima Daini NPP, Japan .


[…] L’époque en laquelle nous entrons porte maintenant le nom d’« âge atomique ». Son trait caractéristique le plus évident est la bombe atomique. Mais ce trait est encore superficiel : car on a tout de suite reconnu que l’énergie atomique pouvait aussi être utilisée pour des fins pacifiques. C’est pourquoi, sur tout le globe, les physiciens de l’atome et leurs techniciens s’efforcent aujourd’hui de mettre sur pied, dans de vastes organisations, l’utilisation pacifique de l’énergie atomique. Les grands trusts industriels des pays à technique puissante, l’Angleterre à leur tête, ont déjà calculé que l’énergie atomique pourrait devenir une affaire gigantesque. Dans cette affaire de l’énergie atomique on croit découvrir le nouveau bonheur.[…]


La puissance cachée au sein de la technique contemporaine détermine le rapport de l’homme à ce qui est. Elle règne sur la terre entière. L’homme commence déjà à s’éloigner de la terre pour pénétrer dans l’espace cosmique. Mais c’est seulement depuis tout juste une vingtaine d’années que la recherche atomique a mis en évidence des sources d’énergie si énormes que, dans un avenir relativement proche, elles couvriront les besoins mondiaux en énergie de toute sorte. Bientôt ce ne seront plus seulement, comme c’est le cas pour le charbon, le pétrole ou le bois des forêts, certains pays ou certaines parties du monde qui pourront se procurer à la source la nouvelle énergie. Dans un avenir assez proche, des centrales atomiques pourront être construites dans toutes les régions de la terre.

La question fondamentale de la science et de la technique contemporaines n’est donc plus de savoir d’où nous pourrions encore tirer les quantités requises de combustible et de carburant. La question décisive est aujourd’hui celle-ci :
De quelle manière pourrions-nous maîtriser et diriger ces énergies atomiques, dont l’ordre de grandeur dépasse toute imagination, et de cette façon garantir à l’ humanité qu’elles ne vont pas tout d’un coup — même en dehors de tout acte de guerre — nous glisser entre les doigts, trouver une issue et tout détruire ? […]

Nous pouvons utiliser les choses techniques, nous en servir normalement, mais en même temps nous en libérer, de sorte qu’à tout moment nous conservions nos distances à leur égard. Nous pouvons faire usage des objets techniques comme il faut qu’on en use. Mais nous pouvons en même temps les laisser à eux-mêmes comme ne nous atteignant pas dans ce que nous avons de plus intime et de plus propre.
Nous pouvons dire « oui » à l’emploi inévitable des objets techniques et nous pouvons en même temps lui dire « non », en ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi de fausser, brouiller et finalement vicier notre être.

Mais si nous disons ainsi à la fois «
oui » et « non » aux objets techniques, notre rapport au monde technique ne devient-il pas ambigu et incertain ? Tout au contraire : notre rapport au monde technique devient merveilleusement simple et paisible. Nous admettons les objets techniques dans notre monde quotidien et en même temps nous les laissons dehors, c’est-à-dire que nous les laissons reposer sur eux-mêmes comme des choses qui n’ont rien d’absolu, mais qui dépendent de plus haut qu’elles. Un vieux mot s’offre à nous pour désigner cette attitude du oui et du non dits ensemble au monde technique : c’est le mot
Gelassenheit, « sérénité », « égalité d’âme ». Parlons donc de l’âme égale en présence des choses. […]


Martin Heidegger, Gelassenheit. 1959.
Traduction par André Préau. Gallimard, 1976 (p. 140-148)
http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1150